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Techno-imaginaires (#1) – Des « digiborigènes » aux Sims, ces approches cliniques des techno-imaginaires

Jeudi, 14 h 30, à la cantine numérique. Bruno Berthier se penche vers son ordinateur, appuie sur le bouton d’une télécommande. Le projecteur s’allume et balance sur le grand mur qui surplombe l’intervenant dans une police somme toute simpliste : « Les Sims en thérapie ». Le décor est tombé, efficace. Avec lui, le lancement d’une série de cinq séminaires proposés à Rennes et à Paris sur les techno-imaginaire. Franche partie de découverte.

Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions de personnes. Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumières disposés dans le non-espace de l’esprit, des amas et des constellations de données. Comme les lumières d’une ville, dans le lointain…

Cyber-espace. Ou buzzword. William Gibson, écrivain, penseur du cyberpunk, le décrit ainsi, dans cette prose qui lui sied à merveille. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un cyber-espace totalisant, dominant : une réalité alternative. Dans la lointaine fiction des prémices de sa création, le cyber-espace représenterait aujourd’hui cet univers plus tellement parallèle qui nous entoure dans notre vie de tous les jours. Et que nous composons avec lui.

Sur la petite scène de la cantine numérique, devant une vingtaine de personnes, Pascal Plantard, enseignant-chercheur de Rennes 2, introduit les deux intervenants du jour : Yann Leroux, créateur du site Psy et Geek 😉 dont l’approche a fait couler beaucoup d’encre dans le milieu ; et Bruno Berthier, psychologue clinicien libéral, utilisateur du fameux jeux des Sims en thérapie.

Brunot Berthier, psychothérapeute, présentait jeudi, à la Cantine Numérique, son utilisation des Sims en thérapie (l'Embusc@de).

Brunot Berthier, psychothérapeute, présentait jeudi, à la Cantine Numérique, son utilisation des Sims en thérapie (l’Embusc@de).

Ils sont tous les deux revenus, au fil de leurs expériences, sur l’importance de l’imaginaire, du rêve, du mythe, de l’utopie, de la construction identitaire dans les technologies numériques. Tant dans leur conception, par les « digiborigènes », explique Yann Leroux, ces geeks d’antan qui ont repoussées les limites du réel et les lois de la physique pour explorer ce monde nouveau qui s’ouvrait à eux et en créer cet espace dans lequel nous inter-agissons tous dorénavant ; que dans leur utilisation, notre rapport au virtuel, que Bruno Berthier parvient à analyser dans le contact des jeunes (principalement) avec la famille virtuelle que ses patients auront à créer puis à faire évoluer à travers la plateforme mondialement connue de Maxis, les Sims.

On voit bien comment l’imaginaire technologique, qui passe par des environnements techno-réels, perfuse auprès des patients dans la pratique psychologique. Les usages des technologies, c’est finalement quand les technologies sont banalisées et que tout le monde les partage. Je décris ça comme des ensembles de pratiques qui se socialisent. A partir de ce moment-là, on essaye de voir comment elles se socialisent dans l’histoire récente. On s’est rendu compte qu’il y avait une très forte dimension imaginaire. En bref, les technologies sont rêvées, désirées, imaginées, avant d’être proposées aux ingénieurs, puis au public,

explique Pascal Plantard. Vous pouvez retrouver un avant-goût du discours de Yann Leroux sur le sujet sur son site, avant que le psychologue ne ponde une version définitive de son travail.

« Modim », M@rsouin, Rennes II, Telecom ParisTech : les études se bousculent.

Cette conférence n’était que la première d’une série de cinq qui se pencheront sur les usages du numérique dans notre monde quotidien moderne. Particulièrement bien implantée à Rennes par le biais de l’université de Rennes II et de M@rsouin, un groupe d’étude « unique en Europe », la Bretagne n’est pas à la traine dans ces nouvelles approches du numérique. Des approches qui se veulent transdisciplinaires afin de dresser les meilleures conclusions sur les évolutions, les transformations du numérique, leurs causes et leurs conséquences dans la vie de tous les jours.

Pierre Musso, professeur en sciences de l’information et de la communication à monter une chaire avec une école parisienne (Telecom ParisTech), qui vise à prendre ces imaginaires comme matière première, à essayer de voir comment on peut les identifier et les modéliser. – Pascal Plantard

Nommée « Modim », ou Modélisation des Imaginaires, elle est en relation étroite avec l’université de Rennes II. Et si Pascal Plantard remarque, à juste titre et sans grande surprise, que « les moyens de Rennes II ne sont certes pas à la hauteur de ses ambitions », en comparaison des possibilités qu’offrent Paris, la capitale bretonne ne manquera pas de rassasier un public bien présent. Et qui ne devrait pas bouder le calendrier tant les thématiques au rendez-vous nous concernent tous. Preuve à l’appui : des dimensions imaginaires et subjectives dans la constitution et l’usage des réseaux sociaux (Facebook et Twitter notamment, le 21 mars) aux bouleversements du numérique dans l’enseignement (le 30 mai), les deux prochains séminaires mettent consciencieusement les deux pieds dans le plat.

On se rend bien compte, aujourd’hui, que tous les métiers sont percutés par les technologies. Mais d’autres sont plus que percuté, ils sont complètement transformés. On voudrait faire intervenir un collègue de Rouen qui a bossé sur la transformation des professeurs des écoles. Les anciens instituteurs aujourd’hui, les instituteurs numériques, aujourd’hui, c’est qui ?

Pour répondre aux questions posées par Pascal Plantard, Dominique Cardon, membre de l’EHESS et chercheur au laboratoire des usages de France Télécom R&D à propos notamment des transformations provoquées par les nouvelles technologies dans l’espace publique (il publiait, il y a trois ans, La démocratie internet. Promesses et limites. et Mediactiviste) et Julie Denouel, maître de conférence en Science du Langage à Montpellier III devraient être de la partie le 21 mars, ainsi que Christophe Dejours, spécialiste de la souffrance au travail au CNAM, le 30 mai.

Historiens et archéologues reviendront, le 26 septembre, sur la manière dont ils intègrent les imaginaires dans leurs travaux, « en sachant que nous, nous développons des approches anthropologiques et que certains travaux sont très intéressants pour les technologies d’aujourd’hui », précise l’enseignant-chercheur de Rennes II. La dernière conférence aura quant à elle lieue le 21 novembre avec au programme des experts des systèmes complexes de programmation, « sur ceux qu’il y a en dessous des réseaux », explique Pascal Plantard :

ceux qui font de l’intelligence artificielle et qui partent quasiment toujours de leurs souvenirs d’enfance, de leurs ambitions, de leurs utopies, de leurs rêves.

Ces constructeurs de demain, qui pensent les technologies de l’avenir à la manière des digiborigènes introduits par Yann Leroux qui repoussaient les limites du monde connu, il y a quarante ans. Tout un programme.

En embuscade : retrouvez tout le programme de la chaire Modim sur leur site et les séminaires spécifiquement rennais sur la programmation de la Cantine Numérique.

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